Blog d'une passionnée de lecture.
Bonjour.
Merci d'avoir accepté de répondre à mes questions. ^^
Bonjour, c'est moi qui vous remercie de m'avoir proposé cet entretien.
Tout d’abord, présentez-vous un peu.
Je m'appelle Jean Bury et je suis né au Cambodge. Après une enfance vagabonde, je suis entré à quatorze ans au lycée militaire de Saint-Cyr : je fais donc partie du petit groupe des anciens enfants de troupe qui écrivent, aux côtés d'auteurs comme Charles Juliet, Sébastien Lapaque ou Yannick Haenel (par ordre d'admiration décroissant). J'ai d'ailleurs l'impression d'être le seul à conserver un bon souvenir de mon adolescence sous l'uniforme : cela explique sans doute, en partie, la fréquence des gosses combattants dans mes histoires.
Je travaille aujourd'hui comme traducteur de jeux vidéo. C'est épuisant, mais amusant.
Y a-t-il des auteurs qui ont bercé votre enfance/adolescence ?
J'ai eu la chance de naître dans une famille où l'on racontait des histoires aux enfants et où les livres s'entassaient dans tous les coins. En piochant au hasard dans la bibliothèque de mes parents, je lisais pêle-mêle de la littérature classique et de la SF, des livres d'histoire et du théâtre, du roman contemporain et de l'analyse géopolitique. Tout cela m'a suivi jusqu'à aujourd'hui, et j'aime toujours autant Conrad, Kipling ou Bradbury, cependant que je redécouvre Maupassant et Balzac. Et Stephen King : un ami m'a récemment prêté La Tour sombre. Malgré quelques longueurs, la série m'a vivement impressionné. C'est dans ces moments-là qu'on mesure le chemin qui nous reste à parcourir avant de pouvoir jouer à l'auteur.
Depuis combien de temps l'écriture est-elle devenue une part non négligeable de votre vie ?
J'ai beaucoup écrit à la fin de mon adolescence, mais il ne m'en est resté qu'un roman pour les 11-13 ans : Le Roi de la colline. Ensuite, il a bien fallu trouver un boulot et j'ai rangé mes stylos. J’ai recommencé à écrire quelques années plus tard : ma première nouvelle a été publiée fin 2013 et mon premier roman d'adulte, Terre Zéro, début 2014. Je débute ! Mais je débute avec enthousiasme. C'est très amusant, écrire.
Avez-vous des rituels lorsque vous écrivez ? Par exemple, écoutez-vous de la musique ou préférez-vous être au calme ?
Aucun rituel particulier, sauf que j'aime les stylos-plumes et les cahiers d'écolier plus que les ordinateurs et les logiciels. Mais j'écris avec un casque sur les oreilles, c'est vrai. J'ai un goût marqué pour la musique classique du 20e siècle : Debussy, Bartók, Messiaen, Ohana, Koechlin. Et Ravel, bien sûr, que je tiens pour l'un des plus grands créateurs de tous les temps, tous arts confondus. J'aime le free jazz de Coltrane ou d'Eric Dolphy, aussi. J'ai du mal à écrire sans ça.
Maurice Ravel en poilu de la Grande Guerre 1916
Quel est, en moyenne, le temps que vous consacrez à l'écriture dans une journée lambda ?
Tout dépend de mon temps libre. Si je le pouvais, j'écrirais toute la journée, sauf pendant ces subites crises de doute où je me dis que rien de ce que je fais ne mérite qu'on débite un arbre. Je rédige beaucoup plus vite, aussi, avec l'expérience : pas forcément mieux, mais plus vite. Pour tenir les délais, par exemple, j'ai écrit Faon en trois semaines, le soir, après le travail, en bâillant beaucoup. Pourtant, ce livre n’aurait pas été meilleur si j'avais pu me prélasser des mois dans un emploi fictif à la Revue des Deux Mondes.
Le but serait maintenant de transformer l'expérience accumulée en surcroît de qualité. C'est un autre défi. Plus fatiguant.
Avez-vous l’ensemble de votre histoire en tête, ou il y a-t-il une grande part d’improvisation au fur et à mesure que les personnages prennent vie ?
C'est variable. Je n'ai pas besoin de plan pour mes romans courts et linéaires. J'ai les personnages, l'ambiance générale et les premières péripéties. Pour le reste, j'improvise au fur et à mesure. C'est ainsi que j'ai écrit Faon ou Les Dieux sans visage. La fin me vient généralement au dernier moment. C'est casse-cou, mais j'ai l'impression qu'on a plus de chances de surprendre le lecteur si on n'a pas la moindre idée de ce qu'on fait.
Cela dit, certains livres sont beaucoup plus complexes, il faut avoir les rênes bien en mains pour tenir ces quadriges. Mots & Légendes me fera le plaisir de publier d'ici quelques mois un roman de 800 pages pleins de rebondissements chronométrés : avant d'attaquer un mastodonte aussi contrôlé, j'ai préparé un plan très détaillé. En cours de route, bien sûr, j'ai pris des libertés, mais le cadre était clairement fixé.
Quelle est la première personne à lire ce que vous écrivez ?
Généralement, mon colocataire. Nous partageons les mêmes goûts en littérature et cinéma de genre, il lit tout ce que je lui soumet avec une gentillesse sans faille et il a un goût très sûr. Ma famille est toujours disponible et certains de mes éditeurs, qui sont eux-mêmes écrivains (Ludovic de Mots & Légendes, Nicholas d'Otherlands), acceptent volontiers de lire un manuscrit, même s'il est promis à une autre maison. C'est la grande qualité des petites structures : ce sont aussi des communautés.
Faites-vous appel à des bêta-lecteurs ?
Mon colocataire s'y colle toujours avec une endurance qui l'honore. Mais j'ai trop sollicité les avis de mes proches : je n'ose plus.
Comment et pourquoi en êtes-vous venu à être édité ?
Ça s'est fait naturellement. Une fois terminé mon premier roman (hormis l'essai de jeunesse qu'est Le Roi de la colline), j'ai cherché un éditeur avec toute la naïveté du débutant. J'ai eu beaucoup de chance d'en trouver un. Depuis, je m'efforce au maximum de travailler avec les maisons qui m'ont déjà publié, je me sens très à l'aise chez elles.
Combien de livres avez-vous fait naître sous votre plume ?
J'ai publié une quinzaine de nouvelles et six romans. En jeunesse Le Roi de la colline, en fantastique Aniki, en cyberpunk Terre Zéro. Les Dieux sans visage est ma tentative de post-apo. Enfin, Mots & Légendes a publié Faon et proposera bientôt un gros roman d'anticipation en deux tomes.
Cliquez sur les images pour les agrandir.
Où peut-on se les procurer ?
Je suggère toujours, dans la mesure du possible, de commander directement chez les éditeurs. Dans mon cas, à ce jour, essentiellement Mots & Légendes, Otherlands et RroyzZ.
Parlons maintenant de Faon.
Comment vous est venue l'idée de cette novella ?
Dans les années 70, lors d’une célèbre série de conférences à Harvard, Leonard Bernstein répondait à Adorno que la musique tonale n’était pas morte, puisque Stravinsky, Poulenc ou Milhaud la rajeunissaient en mêlant à des compositions très savantes l’influence de musiques populaires (ragtimes, tangos, chansons des cabarets de Montmartre, rythmes du carnaval de Rio, etc.). Je me situe évidemment à un niveau bien plus modeste, mais j'avais envie de tenter aussi une petite fusion entre le roman psychologique conradien et les genres populaires, voire « geek ». Pour Faon, je suis donc parti de thématiques et de personnages inspirés des mangas (Akira ou Monster) et j'ai tenté de travailler l'histoire à la manière d'Au cœur des ténèbres. Les délais m’ont contraint à abandonner cette ambition avant la fin du 1er chapitre, et Faon est rentré dans le rang. Mais tout est parti de là. Je réessaierai !
Comment avez-vous choisi les noms de « Faon » et « Axe » ?
Je ne peux malheureusement pas vous le dire, sous peine d'être mis sur la liste noire, généralement létale, d'organisations secrètes dont le gouvernement nie l'existence. Mais ce ne sont pas des noms de code aléatoires...
Ces personnages (Lucas aussi), on apprend à s'y attacher au fil des chapitres (surtout Axe que j'ai adoré !). Comment sont-ils nés ? Vous êtes-vous inspiré de votre entourage ?
Merci ! J'ai des thèmes et des personnages de prédilection qui reviennent fréquemment dans mes histoires : les soldats perdus, les adolescents confrontés à des responsabilités au-dessus de leur âge, les orphelins en mal d'adultes (mais aussi les adultes qui sont « sauvés » par les orphelins qu'ils ramassent dans la rue). Dans cette histoire, comme dans mon roman Aniki, je voulais de surcroît parler d'amour fraternel. Axe et Faon sont un mélange de tout cela. Mais ce sont des personnages totalement imaginaires.
Le thème de l'expérimentation sur des êtres vivants (animaux ou humains) vous tenait-il particulièrement à cœur ?
Oui. Plus spécifiquement, je suis extrêmement hostile à la capitulation sans condition des États, censément garants de l'intérêt général, devant les lobbys privés, qu'ils soient financiers, actionnariaux, agro-industriels, bio-industriels, chimiques, etc. Même lorsque des savants à gages avancent le prétexte du progrès et de la recherche, ces intérêts privés ont pour objectif exclusif la maximisation des profits, et cette dernière implique systématiquement l'écrasement du bien commun. Cette obscénité morale connaît d'autant moins de barrières que l'illimitation est le fondement de la doctrine libérale contemporaine. Rien ne doit être soustrait au champ du vendable et de l'achetable, de l'exploitation, de la privatisation. Il y a peu de chances que ça finisse bien.
Le terme de monstre est tout à fait subjectif, n'est-ce pas ? L'homme aime se prendre pour Dieu, mais rejette en bloc ce qu'il ne peut contrôler...
Dans le roman, c'est Axe qu'on appelle « la Bête ». Je partage donc votre sentiment d’ironie.
Et si Faon, ou Axe, vous projetait votre plus grande peur, que verriez-vous ?
Moi, ayant de nouveau leur âge. Je suis prêt pour la révolution, pour la terraformation de planètes hostiles, pour la guerre des tranchées, pour l'intégrale des symphonies de Penderecki en un seul concert… Mais revivre l'adolescence ? Pas le courage ! Sauf à travers mes gosses, bien sûr, dont Axe et Faon font partie.
Avez-vous d’autres projets littéraires ?
J'ai cinq romans en cours, simultanément. Certains s'éloignent un peu de l'imaginaire, tout en restant uchroniques, d'autres plongent dans le cyberpunk pur et dur. Mais je serais bien incapable de vous dire lesquels seront finis un jour et dans quel ordre.
Encore une fois, merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions. ^^
Un dernier mot pour la fin ?
C'est moi qui vous remercie, de votre chronique et de cette invitation à discuter.
En mot de la fin : vive la micro-édition et tous ceux, éditeurs, auteurs, illustrateurs, chroniqueurs, qui la font vivre ! Non que je méprise les maisons honorablement connues de la bonne société, grâce auxquelles nous pouvons lire Justine Niogret, Même pas mort ou l'intégrale de Stefan Wul, mais il serait tout de même dommage de passer à côté d'Anthony Boulanger, de Sylvain Lamur, de La Maison Ogre ou de Nicolas Villain.
Je remercie une fois encore Jean Bury d'avoir eu la gentillesse et la patience de répondre à mes questions, ainsi que pour la qualité de ses réponses et son humour.
Des échanges plaisants et une plume agréable qui font que je lirais certainement d'autres livres de cet auteur. ^^
Si vous en avez, n'hésitez pas à (lui) poser des questions dans les commentaires. ;-)
Bibliographie de Jean Bury :
Romans/Novellas
Le Roi de la colline
Terre Zéro
Les Dieux sans visage
Et la mort perdra tout empire
Aniki
Liberté pour tous
Faon
Nouvelles dans des recueils
Pince-Mi et Pince-Moi sont au Pôle Nord, de Jean Bury (Corbeau #4 - Athématique)
La nuit où j'habite (Nouveau Monde 3)
Les princes des ruines (Les belles histoires des Otherlands)
O.R.B (Absinthe Mag #12 - Dans l'Ombre)
L'Arbre-Monde (Absinthe Mag #9 - Dame Nature)
Humanologie (Géante Rouge n°24)
Tous les robots s'appellent Alex (Mots & Légendes n°9 : Science-Fiction dans tous ses états)
Le Chat Gris (Absinthe Mag #7 - Horreur 1)
La Rouille (Rétro-Fiction)
Peter Grimes est coupable (Anthologie - Les Yeux du Tueur)
Crise d'adolescence (Créatures des Otherlands)
Triton sur le rivage de sable (Galaxies #46)
Livre lu
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